Annonces d’Edouard Philippe: des bricolages qui ne règlent rien

Partagez
Tweetez
Envoyez

Le premier ministre vient de signer ce vendredi un « pacte d’accessibilité » et un document appelé « d’action publique partagé » sur la différenciation régionale des politiques publiques. L’ensemble est sans doute destiné à montrer que l’État n’oublie pas une région fortement concernée par le mouvement des gilets jaunes, à quelques mois des élections européennes. Le parallèle avec les annonces de Jean-Marc Ayrault est frappant : après chaque mouvement populaire, le gouvernement se souvient que la Bretagne a des besoins particuliers…

Mais le contenu des annonces est très loin de répondre aux besoins profonds de la société bretonne. Si quelques points sont dignes d’intérêt et constituent des avancées, d’autres préparent au contraire une aggravation des inégalités territoriales. Le manque de considération du gouvernement pour le peuple de Bretagne ne fait hélas que répondre au manque d’ambition et à l’esprit de clocher d’un certain nombre de collectivités bretonnes.

Transports: des inégalités sociales et territoriales amplifiées

Le pacte d’accessibilité pour la Bretagne confirme sans plus de précision l’objectif de mieux relier Brest et Quimper à Paris par le TGV, en cherchant à augmenter les trajets « courts » entre la capitale française et les deux villes finistériennes. Cette politique, qui coûte 10 millions d’euros à la région, se fait au détriment de la desserte du territoire par les TER. La SNCF a beau jeu d’invoquer la hausse de la fréquentation des TGV et de parler de succès, mais en réalité les usagers n’ont pas le choix car ils n’ont bien souvent que des TGV à disposition pour leurs trajets, et paient au prix fort un billet qu’ils auraient préféré payer au tarif TER…

Si quelques élus et chefs d’entreprise ont intérêt à se rapprocher de Paris, la grande majorité de la population à  quant à elle besoin de trains fréquents, à des tarifs abordables, dont les horaires sont adaptés à ceux du travail. La mise en service de la LGV Paris-Rennes a déjà dégradé ce service de proximité. Apparemment, ce n’est pas encore assez, et le gouvernement est prêt à aller plus loin  pour réserver le train aux hommes d’affaires. Notons au passage que cette orientation ferroviaire parisiano-centrée fait doublon avec le maintien de l’aéroport de Quimper, qui sert principalement à rallier Paris…

Aucune mention n’est faite de la nécessité de rallier les aéroports de Brest-Guipavas, Rennes-Saint-Jacques et Nantes Atlantique au rail, alors que ces raccordements éviteraient la construction de nouveaux parkings et renforcerait l’accessibilité des aéroports.

Du côté des infrastructures ferroviaires, le gouvernement prévoit de continuer à favoriser les déséquilibres en construisant une nouvelle voie sur l’axe Rennes-Redon, alors que la remise en état de l’axe Rennes-Nantes via Châteaubriant pourrait décharger utilement le noeud de Redon pour une consommation de foncier très limitée (la ligne existant déjà). Le texte du « pacte » sous-entend que seule la section Rennes-Janzé sera remise en état et que le mur de Châteaubriant qui coupe la ligne en deux subsistera. Visiblement, les marges orientales des métropoles de Rennes et de Nantes sont déjà condamnées pour le gouvernement, et seul compte le fameux « barreau sud ».

Pour le Centre-Bretagne, on se contentera d’une énième promesse d’achèvement de la RN 164, sans aucune mention de la réouverture nécessaire d’un axe Auray-Saint-Brieuc via Pontivy et Loudéac, ou de la prolongation vers le sud de la ligne Guingamp-Carhaix.
Les territoires condamnés au tout-voiture sont pourtant menacés de déclin accéléré en raison de la hausse prévisible des coûts des déplacements en voiture individuelle. On dirait qu’Edouard Philippe a déjà oublié le mouvement des gilets jaunes!

C’est donc un choix d’inégalité territoriale que traduit ce « pacte » qui ne fait qu’arroser là où l’herbe est déjà mouillée, et qui répond aux risques de saturation par plus de concentration au lieu de chercher un rééquilibrage. Il faut dire que beaucoup d’élus bretons avaient préparé le terrain en adressant des demandes complètement déconnectées des besoins de la population et des mobilisations des associations d’usagers.

Une différenciation en peau de chagrin

Après des mois de travail, le Conseil régional avait élaboré une liste étoffée de politiques publiques qui gagneraient à être différenciées en Bretagne. A l’heure actuelle, la moulinette gouvernementale en a éliminé la plus grande partie. Il ne reste apparemment plus rien des demandes d’expérimentation et d’adaptation dans les domaines de l’éducation, du foncier agricole, de l’autonomie énergétique ou du pilotage des transports…

Seuls subsistent un renforcement de la politique régionale de l’eau avec la création d’un « parlement » dédié, dont on espère qu’il ne sera pas seulement décoratif, une « déconcentration » des crédits de l’ADEME, la création d’une agence bretonne de la biodiversité, et la porte ouverte à l’élargissement du dispositif d’encouragement à l’investissement locatif dans de nouveaux territoires. Les autres champs des politiques publiques font l’objet d’engagements assez vagues à plus de contractualisation avec la Région, sans objectifs chiffrés et sans échéances claires.

La montagne a accouché d’une souris!

Il faut dire que le choix du Conseil régional de mener des négociations semi-secrètes avec l’Etat sans construire de mobilisation en Bretagne ne permettait pas de créer le rapport de force nécessaire à des avancées conséquentes. C’est dommage car les services du conseil régional, le groupe de travail dédié à la différenciation et les organisations auditionnées avaient fourni un travail important, dont la majeure partie restera donc dans un tiroir. On peut se demander si ces petites avancées obtenues au conditionnel valaient la peine de faire rentrer le budget régional dans le carcan du pacte dit « girondin » voulu par Emmanuel Macron.

Service minimum sur la langue bretonne

Diwan disposera d’une contribution de 300 000 euros de l’Etat et peut-être un jour de la généralisation du versement du forfait scolaire. Ce nouveau bricolage est certes bienvenu dans un contexte budgétaire rendu intenable par la suppression des emplois aidés, mais il ne règle en rien le problème fondamental de la non-intégration de Diwan dans le service public. La proposition d’un statut public régional autonome pour le réseau aurait permis de concilier l’originalité des écoles immersives en breton tout en garantissant leur développement et leur rôle de service public reconnu par les élus régionaux. Il y a fort à parier que l’équilibre précaire trouvé aujourd’hui soit rapidement remis en cause. Enfin, pour ceux qui douteraient encore de l’impact d’une réunification administrative de la Bretagne sur les politiques linguistiques, le fait que la région Pays-de-Loire signe de son côté un pacte d’avenir et n’intègre évidemment pas la question du forfait scolaire pour les écoles Diwan du département de Loire-Atlantique est une réponse édifiante.

Sur une question d’importance symbolique, celle de l’interdiction du ñ dans le prénom du jeune Fañch, le premier ministre ouvrirait la porte à un règlement en élargissement le nombre de signes utilisables dans les documents officiels français. Là encore, l’incertitude est de mise, aucun engagement n’est pris.

Ces annonces minimalistes interviennent dans un contexte d’inquiétude car la réforme du lycée fait planer des risques sur l’enseignement du breton, après une réforme du collège qui a déjà porté de rudes coups aux cours optionnels de breton et de gallo. A l’heure actuelle, le gouvernement n’apporte aucune garantie sur la pérennité des filières bilingues et des options breton dans les lycées. Aucun engagement précis n’indique comment l’Etat entend respecter les engagements déjà pris et non tenus en matière de développement de l’enseignement du breton. On connaît pourtant les moyens à mobiliser pour accélérer le mouvement et tenir les promesses faites, mais ils supposent un minimum de volonté politique.

Des impasses sur les inquiétudes scolaires

Au-delà de l’enseignement du gallo et du breton, la question scolaire suscite aujourd’hui de graves inquiétudes en Bretagne. Le « pacte pour l’action publique » ne les aborde pas.

La réforme des lycées restreint les choix des élèves dans de nombreux établissements, et menace la pérennité de lycées situés dans des villes petites ou moyennes. On parle même de réforme de métropolisation du lycée. Menée dans un contexte de suppressions de postes dans le second degré, elle ne peut aboutir qu’à des régressions, d’autant plus que les réductions d’effectifs prévues dans l’académie de Rennes vont au-delà des ajustements au déclin démographique. La Bretagne occidentale est promise à une saignée injustifiée. Un nouveau mouvement de protestation se profile. Le gouvernement et l’académie de Rennes seraient bien inspirés de revoir leur copie au plus vite.

Le bilan de la venue du premier ministre en Bretagne est donc mauvais, avec un fatras incohérent d’annonces allant de l’insuffisant au nocif, dans lequel surnagent quelques mesures intéressantes trop souvent mises au conditionnel. La chanson n’est pas nouvelle. Le système centralisé qui pousse les élus locaux à mendier le bon vouloir de l’Etat les déresponsabilise et favorise la prise en compte des intérêts des notables plutôt que celui de la population dans son ensemble. Edouard Philippe démontre une fois de plus en négatif le besoin d’un statut d’autonomie pour la Bretagne. Il y a urgence, car les fractures territoriales et sociales ne feront que s’aggraver tant qu’un pouvoir régional digne de ce nom ne sera pas à même de gouverner dans l’intérêt de tous les territoires de Bretagne.

Nil Caouissin

Porte-parole de l’Union Démocratique Bretonne

Partagez
Tweetez
Envoyez