Retrouvez ci-dessous l’intervention de notre élu Gael Briand lors du conseil municipal de Lorient (03/02/2022) à propos du Contrat de Sécurité Intégré.
Monsieur le Maire, monsieur Gasan,
La question de la sécurité mérite mieux que des caricatures. Je sais les noms d’oiseaux que nous nous envoyons les uns les autres sur ce thème précis. Aussi, je le dis en préambule : vous ne trouverez personne, à gauche, qui dénie l’importance de vivre en sécurité.
Je vais donc essayer dans cette intervention d’être le plus objectif possible avec ce « contrat de sécurité intégré » qui nous est proposé au vote. D’abord parce qu’il y a des mesures importantes, d’autre part car nous voulons sincèrement une ville apaisée. Certains points le permettent, d’autres nous paraissent démagogiques, voire discriminatoires. Vous excuserez par avance la longueur de mon intervention.
Rappelons ce qu’est ce Contrat de Sécurité Intégré. Un contrat entre l’État, la Ville et la Justice. À ce titre, il est assez bâtard car il mélange des mesures qui ne dépendent que de notre bonne volonté et d’autres sur lesquels nous ne pouvons pas agir car ils dépendent d’une autre juridiction que la nôtre. Je me permets aussi de constater que ce document est assez « fouillis ». Il additionne sans véritablement de hiérarchie des mesures primordiales et d’autres anecdotiques. Était-on obligés d’aller aussi loin dans le détail en indiquant de « faire retirer les faux-plafonds dans les halls d’immeuble ciblés » ? C’est une chose que l’on fait dans le cadre de la lutte contre la drogue. De là à en faire une « mesure » ! J’ai déjà vu ce genre de documents de l’État mal écrits, qui fourrent tout ce qui est fait dans un grand sac histoire de démontrer que l’État agit.
Mais passons. La première question à nous poser est de savoir si nous partageons le constat ? Y a-t-il augmentation de la délinquance ou augmentation du comptage ? A-t-on besoin d’un « observatoire de la délinquance et de la sécurité » alors que des chiffres explicites nous sont fournis en début de document, preuve que le travail est déjà fait. Rappelons au passage que nous découvrons ces chiffres alors que ce n’est pas notre premier débat sur le sujet. Et que dire sur l’évocation des enquêtes sur le ressenti de l’insécurité qui nourriront cet observatoire ? Y-a-t-il un problème de sécurité ou un problème social ? Je le dis d’autant plus facilement que les quartiers qui sont ciblés pour leur niveau d’insécurité sont, excepté logiquement le centre-ville, aussi les plus pauvres. Coïncidence ? Faut-il régler le problème de sécurité pour améliorer la vie des gens ou régler le problème de pauvreté pour améliorer leur sécurité ? La question reste ouverte. Je n’oppose pas, mais attention à ne pas nous tromper de diagnostic.
Quoiqu’il en soit, nous alertions lors du premier débat sur la sécurité de cette mandature que l’investissement de la ville dans le renforcement de la police municipale ne devait pas se traduire par un désengagement de la police nationale. Ce document nous rassure et nous notons positivement que « l’État s’engage à remplacer les départs (retraite et mutations) à raison de un pour un ». Il s’engage même à assurer une présence policière plus forte de 10 % d’ici 2023. Un « contrat gagnant-gagnant » avez-vous dit M. Gasan. Apparemment.
De même, le volet « accompagnement des victimes » est globalement positif. Un intervenant social au sein du commissariat pour accompagner les familles et les personnes qui le nécessitent dans le cadre de leur dépôt de plainte, une prise de plainte directement à l’hôpital si besoin, l’engagement à pérenniser le financement de l’Écoutille, lieu d’accueil pour les femmes victimes de violences conjugales, un accueil différencié et confidentiel au commissariat… Toutes ces mesures sont positives et propices à améliorer l’accueil de la police, son meilleur rapport à la population, ce qui est un objectif assumé du document. De même, il faut relever l’effort qui consiste à essayer d’inverser les logiques en éloignant les auteurs de violence plutôt que leur victime. Attention toutefois au suivi de ces personnes car un « bracelet anti-rapprochement » ne fige pas sur place quelqu’un de motivé.
Ce qui m’emmène à un autre objectif qui doit motiver nos décisions : l’efficacité. Et c’est à travers ce seul prisme que notre groupe s’oppose au déploiement de la vidéosurveillance dans nos rues.
Hasard du calendrier, Ouest-France consacrait aujourd’hui même une entrevue de Patrick Leseur, commissaire adjoint de Lorient, pour qui les caméras sont un « vrai atout pour les enquêtes ». À point nommé pour votre majorité. Alors, j’entends que cela peut faciliter le travail de la police a posteriori. C’est aussi ce que nous révélait Mme Gaudu, capitaine de police, lors du comité de vigilance sur la vidéosurveillance. Néanmoins, nous nous apprêtons à consacrer un budget de près de 500 000 € en 2022 en vue de la modernisation et de l’extension de notre réseau de caméras. Le ressenti est une chose, les études une autre…
Il se trouve justement qu’il y a à peine un mois est sortie une étude commandée par la gendarmerie et qui affirme, elle, que la vidéosurveillance est inefficace. Vous avez bien entendu : la gendarmerie. Pas un commentaire d’un média d’opinion, mais bien une enquête tout à fait sérieuse réalisée dans quatre communes de la région grenobloise. Celle-ci analysait 1939 enquêtes et concluait que seules 22 ont été élucidées grâce à la vidéosurveillance, soit 1,13 % des enquêtes. 1,13 % ! 500000 € pour une potentielle efficacité d’à peine plus d’1 % ? Et pour des études préalables à la réalisation du futur centre de supervision. Là encore, je ne veux pas caricaturer le débat M. Le Maire, j’ai visité le centre actuel et pu constater qu’on ne rigolait pas avec la vie privée. Néanmoins, l’étude dont je fais mention explique que « l’utilisation de la vidéosurveillance s’avère considérablement moins simple, naturelle et fluide que la culture populaire le laisse croire ». Une plaque floue, un zoom et hop, une piste. Sauf que ce n’est pas la réalité du terrain. Les experts à Loriangeles, ce n’est pas pour demain ! Cette étude estime que les caméras constituent des « ressources de preuves et d’indices peu rentables pour les enquêteurs ».
Alors vous pourriez me rétorquer que Grenoble, c’est Grenoble et Lorient, c’est Lorient ! J’ai donc révisé mes fiches. Le compte-rendu de notre comité de vigilance sur la vidéoprotection parle de « qualité des images insatisfaisantes », « notamment en période nocturne ». Il a été constaté un « problème d’absence de protection saline sur les caméras, générant de la rouille sur de nombreux supports », mais aussi des « pannes récurrentes ».
Les caméras rassurent, mais elles ne sont pas efficaces. De même, la nuit est sombre, mais n’est pas forcément dangereuse. Le rôle de la collectivité n’est pas de tenir la main de chaque citoyen ou citoyenne qui a un « sentiment de peur ». Il est de les protéger. Contre la nuit, c’est impossible : elle tombe chaque soir et s’évapore chaque matin et ce, depuis l’aube des temps. Tout ça pour dire que l’éclairage public peut sûrement être amélioré, mais nous espérons que l’expérimentation en cours ne sera pas polluée par des craintes anticipées. Néanmoins, nous entendons les peurs et nous trouvons que de proposer des transports en commun la nuit peut participer à leur résolution.
Et puisque nous parlons de « sentiment » et de « ressenti », nous nous interrogeons sur cette volonté de maintenir des opérations de contrôles d’identité « dans les secteurs les plus sensibles » (dont on a dit qu’ils étaient les quartiers populaires en réalité). Cela ne risque-t-il pas de stigmatiser au lieu de rassurer ? Quel est l’objectif ? Est-il écrit sur la carte d’identité qu’on est dealer ? Les postes d’îlotier au Bois-du-Château et à Kervénanec ont déjà été diversement appréciés comme si la réponse à apporter à ces quartiers étaient un tour de vis… L’action 68, de même, est curieuse : qu’est-ce qu’une « valeur républicaine » qui conditionnerait le versement de subventions ? Tout laisse penser que nous vivons dans des zones de non-droit. Subventionne-t-on aujourd’hui des associations qui ne respecteraient pas la loi ? J’en doute. Dans ce cas, pourquoi écrire des évidences si ce n’est pour laisser penser que cela a pu être le cas ?
S’il y a des actions de ce contrat que nous n’encourageons clairement pas, en revanche, il y a des missions que nos policiers municipaux pourraient mener et qui n’y sont pas inscrites. Nous avons appris dans ce document que nos agents débutent à 9h37 précises. De fait, ils n’interviennent pas aux abords des écoles alors que leur présence serait certainement plus appréciée qu’à 2h du matin, heure à laquelle la police nationale serait plus adaptée vu ses missions. De fait, chaque matin – surtout dans cette période où il fait nuit lorsque les écoles ouvrent – des petits lorientais cohabitent avec le trafic routier, parfois dense, ce qui est source de danger. La présence de la police municipale aux abords des écoles permettrait de renforcer leur sécurité. Lors des élections municipales, nous proposions par exemple de fermer les abords des écoles le temps que les enfants entrent. Cela sécuriserait non seulement les enfants, mais aussi les parents qui choisissent d’emmener leurs enfants à pieds ou à vélo. Ce n’est pas quand se produit un drame qu’il faut agir, mais avant pour éviter qu’il se produise !
Il nous semble important de sortir des dogmes. La police municipale ne s’occupe PAS du trafic de drogue ! D’ailleurs, l’approche de la lutte contre les conduites addictives nous semble bien trop morale dans ce document. L’usage de l’alcool ou des drogues est-elle moins dangereuse quand elle est invisible ? Un consommateur, au bar, se sociabilise. Seul chez lui, non ! Multiplier les actions de prévention contre des drogues (alcool, cannabis, tabac…) nous semble important. Pas pour moraliser, mais pour aider. Les dispositifs comme Alternoz sont donc plus qu’importants et nous sommes contents de voir qu’ils vont continuer.
Mon dernier mot sera pour la justice. La sécurité n’est vu qu’à travers le prisme de la Police (exécutif) alors qu’elle devrait être davantage sous l’angle de la Justice, dans un souci de séparation des pouvoirs. En France, la Justice est sous-dotée financièrement alors qu’elle pourrait lancer des enquêtes de fond sur la vente de stupéfiants, fléau des temps modernes. Et de justice, nous en avons bien besoin. Je parlais au tout début de mon intervention de mesures qui nous semblent discriminatoires. Il est en effet curieux de lire que nous devons « faciliter l’accès à l’emploi pour les conjoints de policiers nationaux » ou « faciliter l’accès au logement pour les policiers rejoignant Lorient ». Pourquoi le corps de la police et pas d’autres professions ? La crise du logement frappe malheureusement tout le monde.
Voilà M. Le Maire, M. Gasan. J’espère avoir apporté des questions constructives au débat de ce soir.