Monsieur le Président, Monsieur le Vice-Président,
Aucune opposition franche à ce qui est écrit dans ce document, mais un reproche que nous pourrions faire à cette politique régionale Mer et Littoral : ne rien hiérarchiser. Entre « feuille de route », « objectifs », « priorités », « défis », il est difficile de voir exactement quelle est la ligne ! Je dois reconnaître à ce titre la pertinence de l’intervention de Mme Le Brun. L’ambition du document était claire pourtant : « [La Région] souhaite se concentrer sur des enjeux et des sujets sur lesquels son action peut produire de réels changements ». Force est hélas de constater qu’à la fin de notre lecture, nous n’avons pas pu repérer d’éléments de réponse concrets face aux défis, eux plutôt bien posés.
En matière de commerce, l’enjeu essentiel semble de décarboner la flotte. La propulsion vélique des navires de pêche serait évidemment une manière pour eux de les faire gagner en autonomie, mais pour nous, l’enjeu prioritaire devrait être le report modal de la route vers la mer, tout simplement. Je ne répéterais jamais assez qu’un port est une porte. Chez nous, on y importe principalement de la nourriture animale (OGM qui plus est) dont nous aimerions nous passer. Et on y exporte… pas grand-chose. Aucun mépris dans mes paroles, mais avant de définir une stratégie, peut-être faut-il faire le point sur le type de marchandises qui transite en Bretagne.
C’est l’aboutissement du travail sur le fret de notre collègue Loic Hénaff que nous attendons avec impatience car lui seul nous permettra d’avoir une stratégie commerciale digne de ce nom. Que nous disait-il voilà quelques semaines ? Qu’environ 94 % du fret en Région Bretagne se fait par route contre 5 % en mer. Et que 74 % de ce fret est intérieur. Nous avons là de quoi réfléchir. Nos entreprises ne sont donc pas si internationales que cela, passent principalement par la route et pire par de petits utilitaires, ce qui veut dire que la massification est difficile.
Je l’ai déjà dit ici : la Bretagne ne doit pas penser sa stratégie maritime en fonction des ports, mais en fonction des marchandises. En conséquence, elle pourrait investir dans une flotte de petits navires permettant du cabotage ou du micro-cabotage avec les ports voisins de façon souple, à commencer par Nantes-St Nazaire, notre hub (comme il l’est aussi en matière aéroportuaire). C’est l’objet de notre amendement.
C’est donc un travail de logistique qu’il faut mener, en concertation avec les entreprises et de façon très concrète. Combien de boîtes de pâté Hénaff quittent la Bretagne et comment circulent-elles ? Comment faire en sorte qu’elles transitent par la mer plutôt que par la route pour le même prix ? Voilà la démarche que nous proposons. « Anat », dirait-on en breton.
Pas de hiérarchie non plus en ce qui concerne les conflits d’usage. La plaisance est conçue comme une manne, mais elle est souvent associée au tourisme, à la villégiature. Or, le document fait aussi référence à un défi d’avenir plus qu’important : la submersion. Dans la priorité numéro 2, on peut lire que nous devons nous « adapter aux effets du changement climatique sur le trait de côte ». Je me souviens avoir participé il y a quelques mois à un atelier du conseil régional sur le sujet. L’exemple de Carnac était plus que parlant : les résidences secondaires, principalement sur le trait de côte, seront bientôt les pieds dans l’eau. Mais, comme le souligne la géographe Eugénie Cazaux, « le désir de rivage » est si fort que les cris d’alarme n’y changent rien. Les propriétaires connaissent les risques, mais investissent quand même ! Ce sont peut-être paradoxalement les assurances qui permettront de changer ces comportements irresponsables, lorsque les inondations et autres catastrophes naturelles se multiplieront, générant des coûts de plus en plus importants.
Le tourisme est-il une chance pour la Bretagne ? Je pose la question ! Je sais que cela vous fait grincer des dents, mais sans doute faut-il nuancer. Les multiples critiques du surtourisme cet été en Bretagne doivent aussi être écoutées. Nos ports, envahis par des navires de plaisance, pour la plupart inutilisés durant l’année, sont aussi problématiques que les résidences secondaires occupées une poignée de jours dans l’année. Que ne louent-ils pas leur bateaux à la journée ou à la semaine ? Pourquoi toujours ce besoin de posséder ?
Tant de questions restées sans réponse dans ce document. Pêle-mêle pour gagner du temps :
– Nous souhaitons éviter les pollutions maritimes, mais ne mesurons pas l’arrivée de déchets terrestres. Nos poubelles dégueulent de plastique faute de réflexion sur la réduction des déchets à la source. Croyez-vous que ce soient les casiers des marins pêcheurs qui asphyxient l’océan ou tuent le plancton ?
– Comment envisageons-nous la renégociation pêche qui interviendra en 2026 avec nos voisins du Royaume-Uni ? Sur ce dossier, le Président devra être solide. Pas seulement face aux britanniques, mais face à notre propre gouvernement… Il est temps d’échafauder des stratégies.
– Le document indique aussi la valorisation de la filière algues sans expliquer comment. Peut-elle constituer une alternative pour l’amendement non-chimique des terres ? Pour l’alimentation animale qui permettrait de réduire notre dépendance au soja ?
– Nous sommes aussi surpris de cette phrase qui attendrait un peu plus de développement : « les liens entre la Bretagne et la Marine nationale sont forts mais peuvent encore être développés et valorisés ». Comment ? En matière de protection maritime, nous pourrions faire beaucoup mieux grâce à des garde-côtes européens. Éviter que des clandestins se noient par milliers par exemple ou lutter contre le trafic de drogue… Peut-on seulement en parler puisqu’il s’agit évidemment d’un pouvoir régalien ?
– Toujours en matière de sécurité maritime, une femme me faisait récemment part de sa stupéfaction de voir que les formations SNSM n’étaient pas payées par la Région ? J’avoue ne pas avoir vérifié, mais si ce n’est pas le cas, pensons-y !
Je conclue en disant ceci : faute de réunification administrative, nous sommes devenus une région littorale plus que maritime. Quel est le rapport des Bretons à la mer au XXIe siècle ? Ceci, nous le mesurons assez mal. Certains enfants, dans les cités notamment, ne vont jamais à la mer et à vrai dire peu de gens connaissent véritablement les métiers qui en dépendent, à commencer par la pêche. D’ailleurs, la proximité à l’océan n’a jamais été le gage d’une maritimité : l’Histoire a démontré que des iliens comme les Irlandais n’ont pas vraiment accédé à la mer du fait de leurs voisins immédiats. Nous mêmes sommes coupés de notre dimension maritime du fait d’un gouvernement centralisé continental et de l’absence de réunification administrative.
De fait, il ne suffit pas d’écrire que nous voulons une « diplomatie maritime bretonne » pour que nous ayons les moyens de nos ambitions ! D’une part parce que l’État nous refuse le droit d’avoir une diplomatie propre (d’où vos guillemets j’imagine), d’autre part car nos voisins de l’arc celtique sont soit autonomes soit indépendants. On ne joue clairement pas dans la même cour. Une raison supplémentaire de réclamer ce qui nous est dû : du pouvoir de décision !