Ce courrier a été écrit et envoyé en juin 2018 à l’ancien Président de l’Assemblée nationale, François de Rugy. Sans réponse de sa part, ni de son successeur Richard Ferrand, nous le publions aujourd’hui, à l’occasion des 60 ans de la Constitution française.
M. le Président de l’Assemblée nationale,
Je me permets de vous écrire cette lettre afin de réagir à la volonté du gouvernement de modifier les institutions françaises. Vous le savez, en tant que parti fédéraliste – donc autonomiste, puisque l’autonomie est, avec la coopération et la solidarité, un des piliers du fédéralisme politique –, l’Union démocratique bretonne (UDB) milite pour une transformation profonde des institutions républicaines. Opposés au centralisme politique et plus généralement à la concentration des pouvoirs, qui induisent une confusion entre la puissance publique et l’État central, nous défendons une République fédérale, plus démocratique, où le pouvoir serait réellement partagé avec les collectivités territoriales et les corps intermédiaires tels que les syndicats et les associations, une république où le niveau fédéral se concentrerait sur les missions régaliennes et les mesures à déployer pour rendre effective la solidarité (autrement dit la fraternité) tant entre les personnes qu’entre les territoires.
Le Premier ministre a d’ores et déjà annoncé les grandes lignes de la réforme qu’il qualifie de « pacte girondin ». Selon lui, « il ne s’agit ni de revenir à la IVe République ni de passer à la VIe. Il s’agit au contraire de revenir aux sources de notre Ve République ». Or, l’esprit originel de la Constitution de 1958, c’est le gaullisme, porté au pouvoir dans le contexte d’une guerre coloniale et sous la menace d’un coup d’État militaire (ignorer ce contexte historique, c’est se fourvoyer ou tromper délibérément la population) ; son principe même de concentration des pouvoirs et de la légitimité démocratique autour d’une seule personne est profondément contradictoire avec les principes du fédéralisme et du parlementarisme. Ce type d’annonce n’est donc pas vraiment de nature à nous rassurer quant à la pertinence de la réforme à venir.
Nous partageons cependant une partie des préconisations du gouvernement : la fin de la présence des anciens présidents de la République au Conseil constitutionnel, la suppression de la Cour de justice de la République qui rendra les ministres plus responsables de leurs actes, la limitation du cumul des mandats dans le temps (et plus largement, nous l’espérons, un véritable « statut de l’élu »), ou encore, bien sûr, l’introduction d’une dose de proportionnelle, à condition qu’elle soit suffisante pour modifier réellement les pratiques politiques et corriger la représentation de l’électorat à l’Assemblée nationale, représentation aujourd’hui excessivement déformée. Un taux de 10 ou de 15 % ne nous semble pas à la hauteur de l’enjeu démocratique d’une représentation réellement proportionnelle.
En revanche, nous nous inquiétons d’un point précis qui semble vous tenir à cœur : la réduction de 30 % du nombre de parlementaires. À l’instar de M. Larcher, président du Sénat – mais sans doute pas pour les mêmes raisons –, nous pensons que c’est une fausse bonne idée. Même si la critique des élus est monnaie courante, ce n’est absolument pas leur nombre qui pose problème, mais la nature de leur mission. Le pouvoir législatif étant concentré dans les deux chambres que sont l’Assemblée nationale et le Sénat, la charge qui pèse sur les députés est trop importante, et il ne nous semble pas qu’une réduction du nombre de députés ou de sénateurs arrangerait ce constat.
Réduire le nombre de parlementaires, c’est aussi agrandir les circonscriptions et donc déconnecter un peu plus le citoyen de la vie politique quand la logique voudrait au contraire que l’on cherche à relocaliser la démocratie. Une telle évolution pourrait se comprendre dans le cadre du passage massif à la proportionnelle (par exemple à 50 %), mais avec un taux de 15 % il est à craindre que l’Assemblée ne perde sur les deux tableaux, en ne représentant correctement ni les territoires ni l’électorat dans sa pluralité. L’ancrage territorial des députés est hélas aujourd’hui un des principaux moyens de contourner la centralisation des institutions en permettant aux citoyens d’interpeller des élus nationaux ; si ce système a ses effets pervers, on ne peut à nos yeux envisager de le modifier sans renforcer substantiellement, en contrepartie, le rôle des élus locaux et les moyens des collectivités qu’ils dirigent.
Il nous semblerait à cet égard pertinent de réfléchir à la cohérence des échelons démocratiques. Depuis des décennies, l’UDB porte l’idée d’une « Assemblée de Bretagne » qui pourrait fusionner les cinq départements bretons et le conseil régional. Cette idée avait été relancée par M. Jean-Jacques Urvoas lorsqu’il était député, mais elle n’avait donné lieu à aucune suite sérieuse.
La mise en place d’une Assemblée de Bretagne permettrait pourtant une réduction du nombre d’élus, sans pour autant affaiblir le lien entre citoyens et institutions. Nombre de nos concitoyens tendent en effet à confondre déjà les compétences des conseils régionaux et départementaux, et le découpage administratif divise inutilement plusieurs bassins de vie : pensons à la Bretagne centrale (éclatée entre quatre départements) ou au pays de Redon (écartelé entre trois départements et deux régions administratives).
Les 266 élus départementaux touchant une indemnité mensuelle moyenne de 1 500 €, c’est un montant annuel de 4,8 M€ au minimum qui pourrait être utilisé autrement. Une somme assez faible, reconnaissons-le, mais qui permettrait sûrement (vu la faiblesse des budgets publics locaux) de financer des politiques utiles. Le tout pour une plus grande cohérence de la gouvernance ! Cette Assemblée unique est adaptée à la spécificité de la Bretagne même si, jusqu’à présent, seules la Corse et les collectivités d’outre-mer ont pu prétendre à un tel statut. Peut-être n’irez-vous pas jusqu’à défendre l’idée d’un partage du pouvoir législatif entre le Parlement français et diverses collectivités à statut particulier, mais à périmètre constant des compétences, nous apprécierions, M. le Président, que vous défendiez cette idée d’Assemblée unique bretonne à l’Assemblée nationale.
La volonté de réduire le « coût » des institutions peut s’entendre – et nous faisons ici une proposition concrète en ce sens –, mais elle ne doit pas porter atteinte à l’exercice de la démocratie en amoindrissant la représentativité des élus. D’autres pistes d’économies sont envisageables, par exemple la réduction des plafonds de dépenses lors des élections. Cela permettrait qui plus est de réduire les disparités financières entre les candidats. Pour une législative, il serait tout à fait possible de diviser par deux ce plafond, ce qui engendrerait une économie considérable à l’échelle de la France au vu du nombre de candidats qui, tous les cinq ans, parviennent à dépasser le seuil des 5 % et donc à se faire rembourser.
Nous nous tenons à votre disposition pour échanger sur ces sujets, mais réitérons nos craintes de voir affaiblir le Parlement alors qu’il faudrait au contraire le renforcer pour contrer la concentration des pouvoirs de plus en plus importante au bénéfice de l’exécutif. La démocratie, Montesquieu nous le rappelait il y a trois siècles, repose sur la séparation des pouvoirs.
Veuillez recevoir, M. le Président de l’Assemblée nationale, nos sentiments démocratiques les meilleurs,
Nil Caouissin, porte-parole de l’Union démocratique bretonne