Intervention d’Ana Sohier au Conseil Municipal de Rennes, le 14 octobre 2019
Madame la Maire, chers collègues,
Au fil des années passées ensemble, l’UDB a toujours critiqué le phénomène de métropolisation. Force est de constater que jusqu’à récemment, nos remarques n’étaient guère écoutées. Après tout, la politique néo-libérale n’est critiquée que quand on n’en bénéficie pas. Or, Rennes y gagne. Donc notre conseil municipal ne s’inquiétait pas du déséquilibre que cette politique décidée depuis Paris pouvait apporter à la Bretagne. En revanche, dès lors que j’ai axé ma critique de la métropolisation sur les inconvénients internes à la ville et à notre métropole, l’intérêt a été plus vif. Après ma tribune dans Ouest-France, mon collègue Sébastien Sémeril, aurait d’ailleurs qualifiée mes propos de « populisme de gauche ». Ça fait plaisir !
Depuis, les services de la ville ont publié sur l’intranet un document pour prouver l’intérêt et la nécessité de la densification. Un débat dont nous aimerions qu’il soit partagé en dehors de la mairie. J’en profite d’ailleurs pour tordre le coup à certaines idées reçues sur l’UDB. Mon parti n’est pas ruraliste, ni n’aspire à un retour en arrière. De quoi d’ailleurs ? L’UDB refuse l’étalement urbain, mais qui dit densification ne dit pas pour autant ghettoïsation, ni standardisation. Certaines politiques doivent donc être améliorées afin de coller au plus près à nos objectifs politiques de vivre-ensemble, de justice sociale et d’écologie.
La métropolisation, rappelons-le, est un processus : celui d’une dé-territorialisation. Rennes rayonne et personne ne s’en plaindra. Mais si pour rayonner il faut piller les ressources des voisins, alors nous devons, en tant que parti de gauche, tirer la sonnette d’alarme. Qui plus est, les problèmes de circulation, d’urbanisme et d’exclusion sociale que connaît Rennes (comme toutes les grandes villes) sont liés à ce processus.
Certains m’ont reproché de ne pas proposer de solutions et d’en rester au constat. À ceux-là, je voudrais répondre aujourd’hui. Pour ce faire, je commencerai d’abord par ce qui me semble le plus important : l’absence de pouvoir régional. Une région aux pouvoirs faibles n’est pas en mesure de redistribuer correctement. Comment les mécanismes de péréquation du Conseil régional pourraient compenser les déséquilibres économiques quand le budget régional pèse à peine plus que ceux de Rennes et de Rennes métropole cumulés ? Notre première piste, c’est donc d’abord de coordonner le développement des métropoles (Nantes comprise) et du reste du territoire grâce à une action régionale forte. Cela ne dépend bien sûr pas de notre mairie, mais il faut l’affirmer malgré tout.
Rennes restera une grande ville bien sûr. Mais le rythme à laquelle notre ville se développe est inédit dans son histoire. Concentrer l’emploi revient à favoriser la mobilité et les engorgements qui s’y réfèrent. Cela revient à augmenter les prix du foncier et des loyers et donc exclure les plus précaires. J’imagine que personne ici ne trouve normal qu’un jeune doive trafiquer ses fiches de paye pour se loger ! C’est pourtant une réalité qui existe déjà à Paris ou Nantes et qui ne saurait tarder ici si ce n’est déjà engagé. Certains disent que sans densification, on ne pourrait pas accueillir les jeunes. Pourtant, les logements qui poussent dans le centre-ville, au vue de leur taille, mais surtout de leur prix, ne sont clairement pas destinés à eux ! Par ailleurs, on peut penser la densification autrement qu’en construisant frénétiquement et en enrichissant les promoteurs privés.
En pensant la densification des ménages à logements équivalents par exemple. Dans nos logements sociaux, certaines personnes vivent seules dans des logements trop grands. Sans les déloger, peut-être pourrait-on accentuer le partage de l’espace, notamment entre générations ? En plus de lutter contre l’isolement, cela contribuerait à réduire les loyers pour des personnes qui, parfois, peinent à boucler leur fin de mois. De même, nous devons réfléchir à la taille des logements. Il est en effet injuste qu’une famille de 5 vive dans 60 mètres carrés quand un célibataire aux gros revenus évolue seul dans un espace de 100 m2. Il faut également, dans une ville comptant 60000 étudiants, exiger la construction de logements leur étant destiné sans quoi ceux-ci se reportent massivement sur le parc privé. Or, notre priorité doit être de trouver des dispositifs visant à dégonfler la bulle immobilière du parc privé. Dans un article de Ouest-France paru aujourd’hui, le professeur de Rennes 2 Guy Baudelle, explique : « Les tours sont un choix, mais pas la seule possibilité. Sur une surface à peine plus grande, on peut construire autant de logements en petit collectif et maisons mitoyennes, qu’un grand immeuble, avec un espace vierge autour. L’important est de travailler sur le sentiment d’intimité, la végétalisation et de varier les volumes ».
C’était mon propos lorsque je m’inquiétais de voir l’industrialisation du logement en cours. Car toute industrialisation est synonyme de standardisation. Rennes est réputée pour son bien-vivre. Le sera-t-elle encore quand elle ressemblera à toutes les grandes villes ? Avec les mêmes bâtiments que partout ailleurs ? Les mêmes enseignes ? Quand un McDonald’s se sera installé rue de Penhoët ?
La densification n’est pas non plus obligée d’être laide. Nous proposons d’imaginer une charte architecturale à l’échelle du pays de Rennes car nos décisions influent sur l’aménagement du territoire de nos voisins. La densification rennaise délocalise l’étalement urbain ! Il n’y a qu’à voir les lotissements qui progressent dans nos campagnes. Est-ce réellement le fait d’une envie d’air frais ? Si nos politiques de « densification » participent à créer des villes-dortoirs en périphérie, quelle hypocrisie. Nous souhaitons donc une étude sur les déplacements contraints pour nous faire une idée plus juste des réalités de l’habitat.
À la ville centralisée – à l’instar de la France – cela ne vous étonnera pas que l’UDB aspire à une ville polycentrique. J’ai d’ailleurs été amusée de lire dans Le Mensuel de Rennes que Carole Gandon partageait mon point de vue puisque c’est son gouvernement néolibéral qui imagine et fabrique la métropolisation. Je me tiens à sa disposition pour compléter son analyse du dossier. Une chose est certaine : la densification sans réflexion plus large et sans débat public commence à agacer nos concitoyens. En revanche, les promoteurs, eux, sont ravis. Pendant ce temps, les ouvriers du bâtiment, eux, ne voient pas leurs salaires augmenter malgré le boom. Ils construisent les logements dans lesquels eux-mêmes ne pourront pas vivre et c’est peut-être là le problème !
Et puisque je termine mon intervention sur la solidarité, j’aimerais exprimer la mienne envers deux peuples. Le peuple kurde tout d’abord qui subit une invasion armée de la Turquie au Rojava. Les ravages que cette invasion va provoquer ne risque pas d’arranger l’épineuse question des réfugiés entre parenthèses. Le peuple catalan ensuite dont les représentants élus ont été aujourd’hui condamnés par la justice espagnole à des peines allant de 9 à 13 ans de prison… pour avoir organisé un référendum ! Comme vous l’avez fait pour soutenir les maires destitués au Kurdistan turc, à Dyarbakir, ville jumelée à Rennes notamment, nous apprécierions, Mme la Maire, que vous exprimiez la solidarité de la ville de Rennes à ces deux causes.