Thème : « Crise du logement : quels moyens d’actions en local ? »
Participation: 150 personnes (élus locaux, agents territoriaux, représentants d’associations).
Conférence introductive de Jean-Claude Driant, professeur à l’école d’urbanisme de Paris : « Les territoires à l’épreuve des crises du logement »
En France, depuis 25 ans le logement vit une crise structurelle : logement trop cher car son prix a augmenté deux fois plus vite que l’inflation.
Depuis 18 à 24 mois, s’y ajoute une crise conjoncturelle : envolée de l’inflation globale (coût de la vie) et des taux d’intérêt.
Aujourd’hui, l’immobilier est en panne : programmes de logements qui ne se vendent pas, taux de crédit trop élevés pour construire.
Le marché immobilier est bloqué car :
les prix de vente du privé ancien sont restés globalement calés sur des taux d’intérêt de 1 % comme cela se pratiquait jusqu’en 2021 alors qu’en septembre 2023, le meilleur taux d’emprunt en
France (assurance comprise) atteignait déjà 4,64 %,
dans le neuf, les prix de construction (matériaux…) se sont envolés et le prix du foncier reste élevé,
les occupants de logements sociaux ne partent plus car ils ne peuvent plus accéder à la propriété,- les logements classés en F et G au diagnostic de performance énergétique ne peuvent plus être loués à l’année.
Je prévois que les prix de vente du privé ancien vont baisser assez fortement… mais pas dans les secteurs géographiques comme le pays de Brest où la demande de résidences secondaires reste forte.
Que peuvent faire les collectivités locales ?
les outils de régulation du marché de l’immobilier sont largement entre les mains de l’État : + de
90 % des 40 milliards € de dépenses publiques annuelles dans le logement (APL, TVA réduite…), – les aides purement locales ne pèsent que 2 % de ce total de 40 milliards €, – les modes de territorialisation (zonage) sont sommaires.
Va-t-on vers une décentralisation de la politique du logement ?
Sur le principe, Macron a dit oui. Mais comment ?
Depuis quelques jours, une concertation s’est ouverte entre le Gouvernement et les associations de collectivités. Un projet de loi est annoncé pour le printemps 2024.
Le véhicule juridique pour décentraliser la politique du logement serait l’Autorité organisatrice de l’habitat (AOH), qui n’est aujourd’hui qu’une coquille vide mais qui pourrait se remplir. Brest Métropole a été la première collectivité à se déclarer AOH en France.
Dans ce qui est en discussion entre le Gouvernement et les associations de collectivités, il s’agirait de :
► élargir le périmètre des collectivités concernées par les AOH,
►renforcer leurs compétences : encadrer les loyers, modifier le zonage « zone tendue » (via le CRHH = Comité régional de l’habitat et de l’hébergement), introduire la taxe additionnelle sur les résidences secondaires et en fixer le taux librement, fixer la fiscalité sur les meublés touristiques et le nombre de nuitées autorisé chaque année.
Pour les territoires qui ne seraient pas couverts par une AOH, l’hypothèse serait de faire intervenir les conseils départementaux.
Par ailleurs, je préconise de développer l’offre de logements à prix abordable, afin de libérer des logements sociaux. Le « logement abordable » est une notion qui est apparue via les métropoles de Rennes et de Brest. Accompagner les primo-accédants est un moyen très efficace de libérer du logement social et du locatif privé.
Le Bail Réel Solidaire (BRS), via les Offices Fonciers Solidaires (OFS), est un outil à mobiliser ; la vente d’appartements HLM à leurs locataires aussi.
Le BRS est une sorte de couteau suisse : on peut en faire dans le neuf, dans l’ancien, en HLM. Le BRS est pertinent là où le foncier est cher. Par rapport au Prêt social location-accession (PSLA), il présente le grand avantage d’éviter la spéculation à la revente. Il permet aussi de financer le foncier sur une période très longue (jusqu’à 80 ans en zone tendue). Mais attention à ne pas générer de concurrence entre des OFS trop nombreux sur un même territoire car cette concurrence peut faire monter les prix du foncier, donc annuler l’avantage du BRS.
Table ronde n°1 « Favoriser l’accès au logement pour tous »
Exemple d’un Office Foncier Solidaire en Bretagne impulsé par une collectivité : intervention de Grégory Gillot, directeur de l’OFS de Golfe du Morbihan Vannes Agglomération
Constat local : de plus en plus de gens renoncent à un emploi, y compris après avoir signé un contrat de travail, faute de trouver un logement.
Objectif de l’OFS de Golfe du Morbihan Vannes Agglomération : rapprocher les jeunes actifs de leur lieu de travail. Installé en février 2022.
Il a engagé 3 opérations, avec l’aide financière de la Banque des Territoires, pour l’équivalent de 150 logements.
Baux possibles de 18 ans à 99 ans.
Prix de revente encadré.
Encadrement aussi de qui est éligible à l’achat : achat pour de la résidence principale, ne pas dépasser un certain revenu.
L’OFS local a une grande liberté d’initiative car il repose sur une gouvernance légère : un CA de 7 membres, un président qui a une délégation de signature pour engager les opérations.
Modèle de financement :
►emprunts auprès de la Banque des Territoires, qui est une direction de la Caisse des Dépôts. On s’est appuyé sur le dispositif de prêt Gaïa. Avantage : prêts à long terme, avec une durée de remboursement imbattable de 60 ans pour une commune ou un EPCI classé en B2, de 80 ans si classement en zone tendue B1,
►autres sources de financement : pas les banques privées dont les conditions de prêt ne sont pas intéressantes, donc recours à la minoration foncière appliquée par les communes de l’EPCI (de 30 à 50% selon les communes). L’EPCI invite les communes à faire de la minoration foncière au bénéfice de l’OFS local plutôt que pour du PSLA (dispositif pour lequel il n’y a aucune garantie sur le profil de l’acheteur à la revente du logement).
Exemple d’un projet de résidence pour travailleurs saisonniers en Bretagne impulsé par une collectivité : intervention de Bernard Floch, vice-président de Haut-Léon Communauté, et de Jérôme Cappelle de Brest Métropole Habitat
Sur le territoire de Haut-Léon Communauté, deux problématiques autour de l’hébergement temporaire à vocation professionnelle :
des travailleurs saisonniers (tourisme, récolte de légumes),
450 alternants par an à Saint-Pol-de-Léon en provenance de toute la France sur la structure ISFFEL (formations supérieures commerce, logistique, QSE et biotechs), créée par les légumiers il y a 30 ans.
Projet de création d’une résidence au centre-ville de St-Pol-de-Léon : permis de construire déposé, premiers résidents attendus d’ici un an.
Projet à 3,2 millions €. Financement : demandes de subvention en cours (Région, CD 29), entreprises réservataires, collectivité locale.
Partenaires dans la gestion de l’équipement : AILE, Genêts d’Or.
Coût pour le locataire : entre 350 et 400 €/mois tout compris (objectif : pas plus d’un tiers du revenu).
Se veut un prototype, pour un modèle économique stable qui pourra être dupliqué.
Table ronde n°2 « Réguler les locations saisonnières de courte durée »
Exemple d’utilisation du produit fiscal de la surtaxe d’habitation appliquée aux propriétaires de résidences secondaires pour recréer des locations à l’année : intervention de Maryse Lainé, conseillère communautaire des Sables d’Olonne Agglomération
Commune des Sables d’Olonne : 47 000 habitants Sables d’Olonne Agglomération : 56 000 habitants.
Sur la commune des Sables d’Olonne, le taux de résidences secondaires atteint 60 % dans certains quartiers.
Objectifs de la collectivité :
favoriser le logement à l’année,
utiliser le parc de logements existants,
freiner la dynamique des résidences secondaires et des meublés touristiques.
Lancement début 2022 du plan local « Louer à l’année ». Mesures :
►nombre maximum de résidences secondaires et de meublés touristiques par quartier, quota fixé pour 3 ans,
►création d’une incitation financière versée aux propriétaires pour transformer des RS ou des MT (meublés touristiques) en locations à l’année :
engagement sur 3 ans minimum,
surface habitable de 25 m² minimum,
aide au propriétaire de 10 000 € maximum, constituée d’une part forfaitaire de 5 000 € et d’une part modulable de 5 000 € maximum (50 €/m²),
s’y ajoute un bonus de 50 % sur l’aide universelle de 4 800 € à la rénovation énergétique pour un gain énergétique d’au moins 20 %: soit une aide maximum possible de 7 200 €.
Coût du plan « Louer à l’année » : 1 850 000 € depuis début 2022, entièrement couvert par le produit fiscal de la surtaxe d’habitation appliqué aux propriétaires de RS.
Première évaluation du plan depuis son lancement en janvier 2022 :
+ de 800 contacts téléphoniques,
500 dossiers reçus,
225 dossiers validés. Usage antérieur des logements transformés en locations à l’année : 63 % de RS, 21 % de MT, 16 % de logements vacants.
Contrôle de l’effectivité du changement d’usage des logements :
par les fichiers fiscaux (déclaration de TH),
sur le terrain, comme pour la taxe de séjour (observation du relevé des boîtes aux lettres).
Expérimentation sur 3 ans.
Au terme des 3 ans, reconduction probable au regard du succès rencontré (« on a été un peu débordés par le nombre de dossiers à traiter »).
Exemple de régulation du nombre de meublés touristiques par la création d’un pouvoir réglementaire local : intervention de Philippe Aramendi, maire d’Urrugne et conseiller délégué en charge du règlement sur le changement d’usage des logements à la Communauté d’agglomération du Pays basque
Constat :
entre 2016 et 2020, le Pays basque nord a enregistré une augmentation de 130 % du nombre de meublés touristiques,
pénurie catastrophique de logements.
2019 : la Communauté d’agglomération du Pays basque, qui regroupe les 158 communes basques côté français, adopte un premier règlement pour limiter les MT.
Ne peut s’appliquer de par la loi qu’aux 24 communes classées en zone tendue. Ne s’applique qu’aux propriétaires personnes physiques. Pas assez efficace.
Nouveau règlement en application depuis le 01/03/2023, après des péripéties juridiques : – attaqué devant le tribunal administratif par AirbnB et des associations de propriétaires. La communauté d’agglomération gagne le procès,
appel en cours devant la cour d’appel administrative de Bordeaux, mais pas suspensif.
S’applique dorénavant aussi aux personnes morales (SARL, SCI).
►le règlement repose sur un mécanisme de compensation :
tout propriétaire qui veut louer un logement en MT doit mettre en parallèle sur le marché de la location à l’année un autre local qui n’était pas encore à usage d’habitation (bureau, garage, etc) et remplissant les conditions légales pour de l’hébergement (superficie, décence), – ce nouveau local doit avoir une superficie au moins équivalente à celle du MT,
ce nouveau local doit se trouver sur la même commune que le MT,
le local ainsi transformé ne doit pas se trouver en rez-de-chaussée, pour ne pas concurrencer l’activité commerciale.
►le règlement prévoit 2 dérogations :
pour des locations à usage mixte. Si le logement fait l’objet d’un bail d’au moins 9 mois, le propriétaire peut le louer en MT le reste de l’année,
pour les propriétaires qui habitent l’immeuble où ils veulent louer un autre local en MT.
Le nouveau règlement s’applique à tous les logements en meublés touristiques, aussi bien aux demandes de création d’un MT qu’aux MT existants qui arrivent à la fin de la période d’autorisation de 3 ans,
Il s’avère très contraignant (et c’est ce que nous voulions pour provoquer rapidement du changement d’usage) puisque depuis mars 2023, nous n’avons reçu que 3 demandes avec système de compensation.
Mécanisme de contrôle et de sanction :
►Nous avons envoyé des centaines de courriers aux personnes morales propriétaires de logements avec demande d’accusé de réception. Si nous n’obtenons pas de réponse, nous ferons des mesures de contrôle via des agents assermentés.
►Si une infraction est constatée, nous avons prévu des sanctions :
amende de 50 000 € par logement. Pour créer cette sanction, nous avons pris pour référence le règlement mis en place par la Ville de Paris,
en cas de falsification d’une déclaration, notre règlement prévoit une peine de prison.
Au Pays basque nord, la zone tendue va s’étendre à 11 communes supplémentaires, ce qui fera un total de 35. Notre règlement pourra donc s’appliquer sur ces 35 communes, proches du littoral. Mais nous n’en resterons peut-être pas là car nous pressentons des effets de report des MT vers le rétro-littoral, voire le Pays basque intérieur. D’ailleurs, une commune comme Saint-Jean-Pierre-dePort, qui se trouve sur le chemin de St-Jacques-de-Compostelle, est déjà concernée par le phénomène. Même si cela fait débat entre les maires, nous n’excluons pas l’idée d’appliquer le règlement sur la totalité du Pays basque nord.
Nous constatons que l’État est aux abonnés absents.
Dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances 2024, un amendement transpartisan avait été déposé à l’Assemblée nationale par le député PS local et la députée Renaissance de Bretagne Annaig Le Meur. Il consistait à aligner la fiscalité des revenus locatifs par un abattement à 40 %, alors que l’abattement est actuellement de 71 % pour les revenus issus de la location de MT quand il n’est que de 20 % pour ceux issus de la location à l’année. Rien de révolutionnaire, donc. Mais le Gouvernement s’est opposé à l’amendement et les députés Renaissance se sont divisés. Résultat :
l’amendement a été rejeté en commission. Avec le 49.3, aucune chance qu’il soit récupéré en plénière.
Derrière tout ça, il y a le lobbying de la plateforme Airbnb.
Compte-rendu par Christian Guyonvarc’h, conseiller régional de Bretagne, groupe Breizh a-gleiz, autonomie, écologie, territoires (Union démocratique bretonne + Ensemble sur nos territoires). Tél. 06 68 73 54 96
christian.guyonvarch@bretagne.bzh